30 avril, 2006

Générosité et Lucidité


Voici l'edito de Monsieur François REGIS-HUTIN,
le rédacteur en chef de journal Ouest France , paru le 30 avril 2006, que
je trouve très "juste et intéressant".
je vous en souahite la bonne et agréable lecture.

"Partir, fuir cette misère. Aller au pays de la richesse et de la facilité. Devenir quelqu'un d’autre. Réussir, peut-être, comme tel ou un tel qui, maintenant envoie de l’argent au pays, à la famille qui espère bien, un jour, le rejoindre. Oser affronter les difficultés. Oser franchir la mer et les frontières… Voilà ce que font ou ce que rêvent de faire des centaines de milliers de personnes de par le monde. Pauvres Mexicains fascinés par la richesse des Etats-Unis, Chinois, Africains prêts à s’entasser sur de mauvais rafiots qui vont sombrer au premier coup de vent ou dans des camions où on les retrouve parfois asphyxiés. Ces hommes, ces hommes et femmes sont attirés par l’occident, par l’Europe, la France, la Grande-Bretagne, ou l’Italie, comme les papillons par la lumière et, souvent, comme les papillons, se brûlent les ailes…

Les grandes migrations sont commencées sur la planète et l’on comprend bien qu’elles sont le fruit de déséquilibre qui fait qu’un tiers de l’humanité bénéficie des deux tiers des richesses produites dans le monde, tandis que les deux autres tiers se voient privés souvent du nécessaire. Il faut rappeler ce mot de Bernanos face à cette situation : « Les pas des mendiants fera trembler la Terre ! ». Nous y sommes et nous commençons à nous retrancher derrière nos frontières pour conserver notre niveau de vie et aussi notre mode de vie qu’une immigration massive pourrait, pense-t-on, compromettre un jour.
Comme les pays riches confrontés à ce grave, difficile, douloureux et inquiétant problème, la France n’y échappe pas. De colloques en commissions, de loi en décret, elle essaye, depuis des années, de faire face. Souvent, l’inquiétude et l’égoïsme se manifestent et débouchent sur la peur de l’étranger, sur une xénophobie qui n’est d’ailleurs, pas nouvelle. Dans un passé récent, on a eu peur, tour à tour, des Polonais, des Italiens, des Espagnols. On les accusait de venir prendre notre travail, de « manger notre pain », comme on l’a même entendu dire, mais aussi de troubler notre quiétude, d’imposer leurs mœurs ici ou là. Et pourtant, ils étaient des Européens de même culture que la nôtre. Aujourd’hui, l’Europe aidant, ces pays ne sont plus des pays d’émigration, mais reçoivent, à leur tour , les vagues successives de migrants plus lointains. Bateaux chargés de boat people en Italie, barcasses qui laissent tomber à la mer ces «dos humides», comme on les appelle, qui échouent souvent morts sur les côtes d’Espagne.

Trouver l’équilibre entre l’immigration et l’intégration
Nous ne pouvons évidemment rester indifférents à une telle misère. Mais personne ne sait comment tarir un tel flot. Sinon, à l’évidence, faire en sorte que réussisse enfin le développement économique, sanitaire, social de ces pays trop pauvres qui exportent ainsi leur malheurs, tandis que nous importons les richesses du monde. Cependant, avant que l’on y parvienne, les migrants viennent frapper à nos portes. Comme l’a dit un jour, M. Michel ROCARD, «nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde ». C’est vrai. Mais cette misère finira par nous submerger si les équilibres économiques ne sont pas rétablis entre le Nord et le Sud. C’est par cela que doit commencer la recherche de la justice et l’on sait que l’ampleur de la tâche devrait mobiliser réellement tous les Européens sur notre continent, les Nord-Américains face à l’Amérique du Sud pour ce co-développement indispensable.

En attendant, il faut bien réglementer, légiférer, organiser. C’est ce à quoi s’attelle aujourd’hui, une fois de plus, le projet de loi présenté par Nicolas SARKOZY. Celui-ci se dit ouvert aux modifications qui pourraient être apportées à ce projet. Ce devrait être, pour toutes les forces politiques du pays, ainsi que pour toutes les autorités, y compris autorités religieuses, le moment de faire connaître les recommandations concrètes qu’elles proposent. En un tel domaine, il ne suffit pas, en effet, de critiquer. Il est temps de construire et de faire en sorte que le réalisme, nécessaire en la matière, n’emporte pas les grands principes qui font le rayonnements de la France et d’Europe dans le monde. Il nous faut sauvegarder le droit d’asile. Mais il nous faut, en même temps, obtenir, de ceux qui y recourent, qu’ils fassent l’effort nécessaire à leur intégration, par exemple en apprenant la langue du pays qui les accueille et en se conformant à ses lois. Il faut sauvegarder le regroupement familial, mais celui-ci ne doit pas être faussé et utiliser abusivement. Il faut traiter dignement les gens en difficulté sur notre territoire et nous pensons aux centre de rétention innommables dans lesquels ils sont fermés, parfois pendants des semaines.
Il ne faut pas oublier que « toute immigration massive est source de conflits, surtout sil elle coïncide avec un contexte de crise économique », rappelait déjà M. Marceau Long lors qu’il publia, en 1988, son rapport sur l’intégration intitulé être Français aujourd’hui et demain. Cela nous interdit de rester inertes face à ces problèmes. Ni l’angélisme ni répression ne le résoudront. Il nous faut, dans le respect des personnes et des institutions, trouver, au plan national et au plan européen, le juste équilibre entre l’intensité de l’immigration et la capacité d’intégration".